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L'AGROFORESTERIE, QUAND L'ARBRE EST L'ALLIÉ DE LA CULTURE

Chez Jérémy Rambaud, au Gaec de l'Herbage, les lignes d'arbres séparent des bandes de prairies temporaires de 24 m de large. Les arbres encore jeunes commencent leur croissance dans des gaines qui les protègent des prédateurs (lièvres, lapins, chevreuils...) et les amènent à pousser en hauteur.© D.G.

Il y aurait de nombreux avantages à cultiver sous les arbres et leur implantation est un capital qui se valorise sur le long terme. Les pionniers défrichent cette nouvelle agriculture durable.

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PLANTER DES LIGNES D'ARBRES À L'INTÉRIEUR DES PARCELLES, n'est-ce pas là une idée saugrenue ? Détrompez-vous, c'est très sérieux, cela s'appelle de l'agroforesterie, avec pour objectif de produire plus et mieux, dans le coeur de cible du fameux « écologiquement intensif ». Ils sont encore peu nombreux ces agriculteurs qui osent l'agroforesterie. Un petit noyau d'éleveurs existe en Loire-Atlantique, suivi par la chambre d'agriculture qui organise d'ailleurs un réseau de références sur ce thème. Nous en avons rencontré deux en production laitière, l'un en bio, l'autre en conventionnel. Deux pionniers qui n'ont rien d'aventuriers, mais sont à coup sûr sensibilisés à la protection de leur environnement.

UNE DENSITÉ DE CINQUANTE ARBRES PAR HECTARE

Jérémy Rambaud s'est installé en 2004 dans un Gaec de trois associés, près de Couffé (Loire-Atlantique). Une exploitation de 115 ha produisant 400 000 litres de lait en agriculture biologique avec une orientation très herbagère, accordant une grande place au pâturage. L'agroforesterie, Jérémy s'y est attaqué en 2011 avec une première plantation sur 4,5 ha. Aujourd'hui, il en compte 22 ha et il s'arrêtera cet automne à 29 ha, après une dernière plantation. Cela se passe sur ses terres en propriété, essentiellement dédiées au pâturage des génisses. « Se convertir à l'agroforesterie, c'est d'abord un état d'esprit. Il faut évidemment avoir une certaine sensibilité à l'amélioration de son environnement. Ici, les remembrements des années soixante-dix ont été fatals pour les haies. Résultat, nous avons de grandes parcelles sans aucun arbre, sans aucune ombre pour les animaux, où l'organisation du pâturage en paddocks est compliquée. Il est difficile de tenir des génisses au fil dans ce type de pâture. En installant des lignes d'arbres, j'ai créé quelque chose de très fonctionnel pour le pâturage et visuellement, c'est nettement plus agréable. Pour moi, le seul frein à l'agroforesterie, ce sont les terres en location. Je ne vais pas planter des arbres pour mes propriétaires », explique Jérémy Rambaud.

Les arbres ont été installés par tranches de 4 à 7 ha à l'automne. « Avec l'habitude, c'est assez facile à réaliser. Pour jalonner, planter et poser gaines de protection et tuteurs, placer les piquets de clôture et prévoir l'électrification, je compte cinq jours en étant deux personnes pour planter 4 ha. » Il a choisi une densité de cinquante arbres par hectare, avec des lignes orientées nord-sud et espacées de 25 m afin de disposer de bandes cultivées de 24 m, une largeur adaptée au passage des différents matériels. Plusieurs essences ont été choisies : frêne, chêne, cormier, alisier, merisier et orme résistant. « J'ai regardé ce qui était adapté à notre terroir, ce qui pousse naturellement dans les haies. Ensuite, je mélange les différentes essences en tenant compte de la nature du sol et des zones plus ou moins humides. »

Les parcelles ainsi créées sont des prairies temporaires à base de fétuque, ray-grass anglais et trèfles exploitées en pâturage, foin ou ensilage. Elles sont implantées derrière une céréale. Jérémy a donc conçu un système de clôture avec des piquets de 1,80 m qui protège les arbres des animaux (voir photos ci-dessus) et qui s'escamote au besoin. « Il existe peu de références d'agroforesterie en système prairial. Je pense qu'il faut accepter que les arbres aient un peu plus de difficultés à s'implanter, car la compétition est sans doute un peu plus forte que celle de céréales intercalaires. Mon conseil est de choisir des plants déjà vigoureux d'une taille de 80 cm au minimum, de façon à ce qu'ils démarrent le plus vite possible. » Ces lignes d'arbres demandent aussi de l'entretien : une taille forestière pour créer des arbres de haut-jet équilibrés, qui seront capables de produire des billes de bois d'oeuvre de qualité. Il faut aussi entretenir la bande enherbée. « C'est un travail que je fais tranquillement en hiver ou au printemps en réalisant mes clôtures. Je trouve très agréable de m'occuper de mes arbres. Je nettoie à la main au pied des arbres et, si nécessaire, je passe la débroussailleuse en juillet. Potentiellement, il y a une bande de 1,50 m de large où l'herbe pourrait durcir, mais les génisses de 15-24 mois arrivent à brouter sous la clôture et font facilement la jonction entre les deux parcelles. » Les jeunes arbres peuvent être aussi sensibles à des insectes parasites. Les rapaces qui apprécient ces lignes boisées, refuges à mulots, peuvent en se posant casser les jeunes tiges encore fragiles. Il faut alors remplacer ces manques et comme c'est le cas chez Jérémy, installer quelques perchoirs qui servent d'observatoires aux rapaces. « L'agroforesterie, ce n'est vraiment pas compliqué. Il faut accepter d'y passer un peu de temps. En contrepartie, j'en gagne dans la gestion du pâturage. J'ai pu constituer facilement des petits paddocks de 0,5 ha pour des lots de huit génisses, et je valorise ainsi beaucoup mieux la pousse de l'herbe. On peut se rassurer en disant que les arbres donnent une valeur supplémentaire au foncier. Tant mieux pour mes enfants, mais je suis d'abord motivé par l'environnement beaucoup plus agréable que j'ai ainsi créé », insiste Jérémy.

Et pour quel investissement de départ ? « Pour les plants, les tuteurs, les gaines de protection et le paillage, je compte 500 €/ha, soit 2 000 € pour 4 ha, et j'ai obtenu 950 € d'aides. Il faut ajouter environ 200 € de frais de clôture supplémentaires par rapport à une parcelle traditionnelle. »

ONZE KILOMÈTRES DE HAIES BOCAGÈRES REPLANTÉES

À quelques kilomètres de chez Jérémy, Olivier Dupas est, lui, un éleveur laitier conventionnel, installé en Gaec avec son frère, à Ligné (Loire-Atlantique), sur 165 ha avec 65 vaches laitières. Lui aussi a subi les ravages d'un remembrement. « Sur une parcelle de 29 ha, il restait 500 m de haies. Pour organiser le pâturage, je devenais fou. J'ai fini par la diviser en quatre blocs de 4, 7 et 11 ha avec des lignes de haies. Depuis que je me suis installé en 1997, j'ai planté quelque 11 km de haies bocagères. Je ne conçois pas un paysage d'élevage sans haies, quelle tristesse ! Cela a pu faire jaser certains, mais je n'ai jamais gêné la mécanisation ni affaibli l'économie de notre exploitation. Nous faisons régulièrement 85 q/ha en céréales dans des parcelles entourées d'arbres. L'effet brise-vent a certainement un rôle positif sur la culture et l'érosion est contenue », explique Olivier, qui est aussi chasseur et sensibilisé au maintien de la faune. C'est par cette voie qu'il s'est intéressé à l'agroforesterie. « Il nous reste 55 ha qui ne sont pas drainés, des terres limoneuses qui gardent l'eau en hiver. J'aurai bien tenté l'agroforesterie sur des parcelles qui servent à la pâture, mais le propriétaire n'a pas voulu faire un geste sur le prix du fermage. Je me suis rabattu sur une petite parcelle de 3,5 ha en propriété qui sera mon terrain d'essai. » En 2011, Olivier a donc planté deux lignes d'arbres, espacées de 25 m, avec une densité de 35 tiges/ha, soit 6 m entre chaque arbre. Cela forme trois bandes de cultures intercalaires avec une rotation tournesol-maïs-blé-maïs. « L'objectif est de labourer au plus près de la ligne d'arbres de façon à éliminer les radicelles de surface et pour que les racines des arbres s'installent en profondeur. L'agroforesterie, c'est une autre façon de voir l'arbre : il est là pour servir d'auxiliaire à la culture sans la concurrencer. J'espère bien ne pas perdre en rendement et, au contraire, quand les arbres auront atteint une taille suffisante, assainir ma parcelle des excès d'eau. »

Olivier a planté des frênes et des chênes sessiles. Lui aussi conseille d'acheter des plants de 80 cm au minimum et de ne pas hésiter à changer un arbre qui peine à démarrer. « La première année, j'ai fait l'erreur de ne pas semer de couvert sur la ligne et j'ai été envahi de chardons et de rumex. Il ne faut pas hésiter à implanter une fétuque qui supporte bien le broyage. » L'entretien consiste à tailler la centaine d'arbres et à broyer la ligne après la moisson. « Une grosse demi-journée par an. »

Pour ces 3,5 ha plantés pendant l'hiver 2011-2012, l'investissement a atteint 1 200 € et l'éleveur a reçu une subvention de 410 €. Ce coût inclut le suivi du projet par la chambre d'agriculture : métrage, commande des plants, formation à la taille, etc. « Sur cette parcelle, l'une des plus mauvaises de l'exploitation, depuis que les arbres sont présents, nous avons sorti 12 t de MS/ha de maïs et 78 q/ha de blé. Dans une quinzaine d'années, quand les arbres auront une taille conséquente, je confirmerai ou pas l'effet positif sur les cultures. »

DOMINIQUE GRÉMY

Les lignes d'arbres ont considérablement simplifié et amélioré l'organisation du pâturage des génisses en paddocks. Jérémy a conçu un système astucieux de clôture électrique qui s'escamote pour les récoltes en foin ou ensilage.

© D.G.

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Jérémy Rambaud réalise une taille de formation dès la plantation des arbres pour créer de beaux fûts de bois d'oeuvre.

© D.G.

Les bandes de cultures intercalaires sont de 24 m labourables. Les éleveurs labourent au plus près de la ligne d'arbres pour que les racines descendent en profondeur et ne concurrencent pas la culture. D'ici à quelques années, Olivier Dupas espère que les arbres participeront activement à l'assainissement de la parcelle.

© D.G.

Olivier Dupas du Gaec des Trois Chemins a planté en 2011 deux lignes d'arbres dans une parcelle non drainée de 3,5 ha.

© D.G.

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